Cet article fait partie d’une série de publications dédiées à la formation et à la construction au Danemark. Les informations présentées dans ces écrits ont été recueillies par des professionnels du BTP lors d’un voyage d’apprentissage (Lex) organisé à Copenhague en juin 2023 par WinLab’, l’incubateur du CCCA-BTP. 

Les conclusions de ces articles sont basées sur les observations des participants, les visites de sites et les échanges avec les intervenants et la population locale. 

Le Danemark, un modèle de transition énergétique collectif

Île Middelgrundsfortet et éoliennes offshore sur la côte de Copenhague au Danemark. Source : Adobe Stock

Sur l’échiquier européen, le Danemark est reconnu comme l’un des pionniers en matière de transition énergétique. Petit pays nordique de moins de 6 millions d’habitants, il a réussi à transformer son secteur énergétique en un modèle d’efficacité, de durabilité et d’innovation. Si le contexte règlementaire est largement favorable au développement des énergies renouvelables, telles que l’éolien, ce qui marque le plus le passage dans ce Royaume c’est le réel engagement de la population et des entreprises dans cette transition. Amorcée dans les années 70, elle repose sur plusieurs piliers clés qui en font un exemple inspirant pour le reste du monde.

La crise pétrolière, un appel à l'action

Pour comprendre l’engagement des Danois, il est fondamental d’écouter le récit de ceux qui ont subi les affres de la crise pétrolière. En 1972, près de 92 % de la consommation brute d’énergie danoise provenait du pétrole. Par conséquence, lorsque la crise pétrolière de l’OPEP a entraîné une multiplication par quatre du prix du pétrole en 1973, l’économie et l’approvisionnement énergétique du Danemark ont été gravement touchés.

Confronté à cette crise inédite, le Danemark a dû réagir rapidement en mettant en place des mesures d’urgence destinées à atténuer les effets immédiats de la crise. Parmi celles-ci figuraient les « dimanches sans voiture » ou encore une limite d’une douche chaude par personne par semaine instaurée au cœur de l’hiver 1973/74. Elles ont profondément marqué les Danois, comme l’a témoigné lors de l’expérience apprenante Susanne Kuehn, Public Affairs Manager chez Rockwool Nordics. Leurs stigmates sont devenus les symboles d’un engagement sociétal vers une indépendance énergétique.

des enfants jouent à vélo sur la route
Ici des enfants jouent sur Vedbæk Strandvej à Vedbæk, un dimanche sans voiture pendant la crise pétrolière de 1973. (archives, Ritzau Scanpix) (Photo : © John Stæhr)

Ces actions à court terme ont permis d’atténuer les effets les plus immédiats de la crise, mais elles ont également ouvert la voie à une réflexion à plus long terme. Ainsi, la Politique Énergétique Danoise de 1976 a été élaborée pour diversifier rapidement les sources d’énergie, réduire la dépendance au pétrole et diminuer la consommation énergétique globale. Parallèlement, des efforts plus importants ont été consacrés à la recherche et au développement dans le domaine énergétique. Cette politique avait un double objectif : atténuer l’épuisement des ressources naturelles à long terme et développer des solutions stables pour l’avenir.

Près de 50 ans plus tard, les résultats sont probants : en 2021, le pétrole ne représentait plus que 34% du mix énergétique danois. Les énergies renouvelables, quant à elles, représentaient 43%, dont 64% d’énergies biomasses et 20% d’énergie éolienne.

La crise pétrolière des années 70 a donc catalysé une transformation profonde au Danemark, faisant émerger une stratégie nationale ambitieuse en faveur de la transition énergétique. Ce pays nordique, jadis fortement dépendant du pétrole, a su transformer ses difficultés en opportunités en adoptant une approche planifiée, globale et démocratique pour remodeler son approvisionnement énergétique. En combinant une diversification des sources d’énergie avec une forte conscience écologique, le Danemark a posé les bases d’un avenir énergétique durable et prospère.

Mix énergétique au Danemark en 2021 (source : données transmises par State of Green)

Logo state of greenState of Green, ou la promotion de la durabilité et de l’innovation à la Danoise

State of Green est une organisation à but non lucrative issue d’un partenariat public-privé fondé par le gouvernement danois, la Confédération de l’industrie danoise, l’Association danoise de l’énergie, le Conseil danois de l’agriculture et de l’alimentation et l’Association danoise de l’industrie éolienne. Marque verte officielle du Danemark, elle est parrainée par S.A.R. le prince héritier Frederik de Danemark. Elle renforce la sensibilisation internationale aux solutions et aux compétences des entreprises et de l’industrie danoises dans les domaines de l’énergie, de l’eau, de l’adaptation au climat et de l’environnement. L’objectif ? Inspirer et essaimer pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre.

Fondée en 2008, cette plateforme collaborative rassemble des acteurs du secteur public, privé et de la recherche pour travailler ensemble sur des projets et des initiatives visant à accélérer la transition vers une économie verte et à faibles émissions de carbone. Elle a pour mission de présenter les solutions durables développées au Danemark au reste du monde. L’initiative vise à renforcer la position du Danemark en tant que leader mondial en matière d’innovation et de technologies vertes.

Au travers de House of Green implanté au cœur de Copenhague ainsi que de nombreux supports numériques, State of Green offre des informations et des connaissances sur les initiatives et les projets verts au Danemark. Elle propose des études de cas, des rapports, des articles et d’autres ressources pour inspirer d’autres pays et acteurs à adopter des pratiques durables. Elle soutient l’innovation en connectant les entreprises et les start-ups avec des investisseurs, des partenaires commerciaux et des experts. Cela stimule la création et la diffusion de nouvelles technologies et de solutions vertes.

Les piliers de la transition énergétique danoise

Développer les énergies renouvelables : l’éolien en figure de proue

D’ici à 2050, le Danemark prévoit de couvrir 100% de ses besoins énergétiques grâce aux énergies renouvelables. Parmi celles-ci, l’énergie éolienne occupe une position centrale. En effet, le pays prévoit d’investir de manière substantielle dans l’énergie éolienne, qui contribue déjà à près de la moitié de sa production électrique actuelle. Après avoir créé le plus grand champ d’éoliennes terrestre en Europe, le Danemark déploit dès 1991 le premier champ offshore du monde. Il est désormais l’un des leaders mondiaux de l’éolien offshore, et envisage de poursuivre cette avancée en se concentrant sur le déploiement d’îles énergétiques, qu’elles soient artificielles ou naturelles.

Le 20 février 2023, Lars Aagaard, le ministre du climat et de l’énergie basé à Copenhague, a fait savoir que des appels d’offres publics seraient lancés pour déployer 9 gigawatts supplémentaires d’énergie éolienne offshore, en complément des 2,3 gigawatts déjà opérationnels. Cette initiative vise à quintupler la capacité éolienne du pays d’ici à 2030, marquant ainsi une étape majeure dans la réalisation de ses objectifs énergétiques et de sa position de leader mondial en matière d’énergie éolienne.

Efficacité énergétique : intégration de la cogénération pour le chauffage urbain

Après la crise pétrolière des années 70, le modèle de planification énergétique danois a favorisé les chauffages écologiques et la cogénération. La substitution graduelle des systèmes au gaz et au fioul par le chauffage urbain, ainsi que des initiatives telles que des incitations pour l’isolation des bâtiments et l’adoption des énergies renouvelables, a propulsé le Danemark en tête des économies d’énergie. À présent, la plupart des centrales de chauffage urbain combinent la production de chaleur et d’électricité, distribuant l’excédent de chaleur provenant de la production électrique. En se basant sur la cogénération, le chauffage urbain couvre presque 60 % de la surface totale des logements chauffés. Les sources d’énergie varient, provenant d’installations combinées de chauffage et d’électricité utilisant charbon, pétrole, gaz naturel, déchets, biomasse et pompes à chaleur (PAC). Surveillée et régulée avec efficacité, cette consommation assure aux utilisateurs un confort optimal et des économies significatives.

Une gestion de l’eau efficace

La gestion de l’eau potable est un défi majeur pour les gouvernements. On estime par exemple en France que plus d’un milliard de mètres cubes d’eau potable est perdu chaque année, soit 20% de la production totale, en raison de fuites dues au vieillissement des canalisations, aux mouvements de sols ou à une supervision inadéquate de la pression d’eau.

Le Danemark, quant à lui, a réussi à réduire les pertes en eau urbaine à moins de 8%, tout en abaissant la consommation d’eau domestique de 40% depuis 1980. Pour y parvenir, les services danois surveillent en permanence la consommation et distribution de l’eau.  Cette surveillance est facilitée par le découpage du réseau d’eau en unités plus petites et plus gérables, appelées Zones de Mesure de District (DMAs). Le pays a également entrepris des programmes stratégiques visant au remplacement des canalisations, exploitant les capacités de l’intelligence artificielle pour prioriser ces remplacements.

Par ailleurs, les politiques tarifaires adoptées ont joué un rôle essentiel dans l’optimisation de la consommation d’eau. En effet, la tarification de l’eau est élevée et englobe l’ensemble du cycle hydraulique, ce qui inclut les investissements dans les nouvelles technologies. À noter également qu’à Copenhague, une taxe a été instaurée pour inciter les infrastructures de gestion de l’eau à maintenir leurs pertes en dessous de 10 %. Cette combinaison de mesures a contribué de manière significative à la réussite des efforts danois en matière de gestion de l’eau.

La portée économique de la transition énergétique

Si la préservation de la planète en est le moteur premier, les entreprises danoises sont transparentes : des opportunités économiques découlent aussi de de la transition énergétique. En investissant dans des secteurs tels que l’éolien offshore, les technologies propres ou la préservation de la biodiversité, le Danemark a pu créer de nouvelles opportunités commerciales et stimuler l’innovation.

En visitant l’immeuble Blox, qui abrite l’incubateur BloxHub, le groupe a découvert un organisme issu là encore d’un partenariat public/privé, qui est un hub d’innovation pour les villes de demain. Il s’appuie sur une croyance forte que l’un des principaux enjeux de l’urbanisation de masse et du changement climatique réside dans la recherche de nouveaux modes de collaboration entre architecture, ingénierie, design thinking, construction, facility management et entreprises technologiques. C’est pourquoi il accompagne des startups danoises pour développer des villes durables en les (re-)connectant avec la nature. Il offre une infrastructure avant-gardiste avec un Data Lab, des Fab-Lab et un studio VR. La vision de BloxHub est de ne plus opposer nature et ville mais de créer une symbiose entre les deux.

 

Découverte lors de la visite de BloxUb, Ecotree se définit comme une entreprise engagée avec des solutions basées sur la nature (« Nature based solutions »). Son ambition est d’intégrer les sujets de la protection de la nature et des enjeux climatiques dans une activité économique à but lucratif. Ainsi, Ecotree combat le changement climatique en protégeant la biodiversité, tout en faisant corréler économie et impact positif. Ecotree propose ainsi à ses clients d’acheter des arbres de diverses essences à partir de 15€. La startup les plante et les entretient. Après 60 ans, lorsque l’arbre est coupé pour en utiliser le bois, elle reverse au client la valeur de l’arbre coupé. Depuis 2016, Ecotree a acquis au Danemark, en France et au-delà 43 forets qu’elle s’engage à gérer pour une centaine d’années. Elle a doublé son chiffre d’affaires. 60 000 clients qui ont acheté des arbres. En générant une marge bénéficiaire de 30%, Ecotree surprend par son positionnement qui permet de faire du profit avec une activité commerciale « écoresponsable» qui permet de générer des revenus tout en capter le CO2 et protéger la biodiversité.

 

Rockwool est un fleuron danois. L’entreprise est un des leaders mondiaux de la fabrication d’isolant. La puissance de la compagnie repose sur 12 000 collaborateurs répartis aux seins de 51 sites de production dans 23 pays différents. Depuis 2016, le groupe s’est engagé sur 11 des 17 objectifs de Développement Durable des Nations Unies parmi lesquels la santé et le bien-être, les villes et les communautés durables ou encore la consommation et la production responsables. L’un des exemples présentés est le développement de 60 000 m² de plaques d’isolant Lapinus Rockdelta, produit d’isolation pour réduire les nuisances sonores et les vibrations dans les tunnels en granit du métro de Stockholm.   Rockwool est d’ores et déjà parvenu à réduire de 38% ses émissions des GES et de 20% celles de ses fournisseurs. Concrètement, l’empreinte carbone de Rockwool est passée de 1,53 à 0,50 kg de CO2 par m².

La visite d’un des sites vitrines du fabricant a été particulièrement inspirante. En effet cet immeuble de bureau de 3 500 m² a été bâti en 1072. Il accueille 170 employés sur 4 étages. Sa rénovation réalisée en 2022 avec les différents isolants de la marque a permis de réduire de 64% sa consommation énergétique. Les infrastructures sont chaleureuses, agréables tout en étant épurées, elles font la part belle à l’innovation et à l’art contemporain. Les collaborateurs que le groupe a pu croiser ont partagé le bien-être qu’ils éprouvent en travaillant dans ces lieux. Mais au-delà, en réutilisant la structure de béton plutôt qu’en la démolissant, le groupe a économisé près d’1 million d’euros et 546 tonnes de CO2, 57% de carbone en moins qu’en bâtissant un nouvel édifice. Un bel exemple de rénovation énergétique performante. 

L'écologie, un mode de vie danois

Depuis l’impact du choc pétrolier, le virage vers les énergies renouvelables au Danemark a évolué en une stratégie nationale à long terme, ralliant l’ensemble des parties prenantes danoises pour garantir sa cohésion et sa mise en œuvre. Cette démarche englobe divers acteurs, allant du Gouvernement et du Parlement aux groupes environnementaux, aux chercheurs et aux industriels, sans oublier la population elle-même. Loin d’être un simple changement technique, cette transition énergétique est perçue comme un processus intrinsèquement démocratique, s’appuyant sur l’engagement collectif, la connaissance partagée et la prise de conscience individuelle pour être un choix éclairé. Cet aspect résolument démocratique distingue la transition énergétique danoise et a joué un rôle majeur dans la mobilisation de la population ainsi que dans l’éveil de la conscience écologique au sein de la société danoise.

Lors de notre séjour à Copenhague, nous avons pu observer cette place accordée à l’écologie par les Danois dans différents aspects de la vie quotidienne :

• Le tri des déchets : afin de réduire la quantité de plastique incinéré et faciliter le recyclage, les habitants de Copenhague doivent trier leurs déchets en dix types différents (bio, papier, carton, métal, verre, plastique, textiles, cartons alimentaires, déchets résiduels et déchets dangereux). A noter toutefois que, à raison de 844kg par an, les Danois étaient en 2021 les plus gros producteurs de déchets ménagers par personne en Europe. Mais le pays est aussi le champion du recyclage : les centrales à biomasse utilisent ainsi les déchets pour chauffer les habitations danoises.

• La place du vélo : bien que les transports aient été le secteur où les progrès en termes d’efficacité et de changement de source énergétique ont été les plus lents, les mobilités douces ont désormais gagné la bataille. Le développement massif des transports en commun et des réseaux de pistes cyclables ont diminué l’usage individuel de la voiture. A Copenhague, 37% des habitants vont travailler ou étudier chaque jour à vélo, et l’on compte 560 000 vélos pour 519 000 habitants.

• Une conscience accrue du changement climatique : selon une étude de la banque européenne d’investissement publiée en 2021, 79% des Danois pensent que le changement climatique et ses conséquences sont le défi le plus important pour l’humanité au 21ème siècle. Ce taux est le plus élevé en Europe. Face à cette prise de conscience, les Danois prêtent une attention particulière aux gestes écologiques : le Danemark est l’un des plus grands consommateurs de produits bio, et mène des expérimentations éco-responsables, comme une île testant le zéro déchet. Par ailleurs, la nature occupe une place importante. Près d’un quart de la ville de Copenhague est constitué d’espaces verts, et toute nouvelle construction depuis 2010 doit comprendre un toit végétal.

vélo à Copenhague
Cyclistes à Copenhague. Source : Adobe Stock

Le parcours du Danemark vers la durabilité énergétique sert de modèle inspirant pour le reste du monde. De la crise pétrolière à la diversification énergétique, le pays a prouvé qu’une combinaison de mesures pragmatiques, de politiques progressistes et d’une mobilisation démocratique peut concrétiser une vision écologique et économique. En tant que leader dans l’énergie éolienne offshore, la cogénération et la gestion efficace de l’eau, le Danemark a montré que la transition énergétique peut être à la fois une réponse aux défis environnementaux et une source d’opportunités économiques. Alors que le monde s’efforce de relever le défi du changement climatique, le modèle danois apporte un exemple concret de la manière dont la collaboration entre gouvernements, entreprises et citoyens peut façonner un avenir énergétique plus vert et plus prospère pour tous.

En savoir plus :

Au Danemark, la croissance démesurée et impatiente de l’éolien, Le Monde, 24 mars 2023

La transition énergétique au Danemark : un modèle de planification démocratique européen, Thierry de Larochelambert, janvier 2016

Our Urban Future. Co-created, Bloxhub, 2018, YouTube

Objectifs de développement durable (ODD), UNDP

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Rédacteurs : Franck Le Nuellec, Marjolaine Meynier-Millefert, Stéphanie Obadia,  Stéphanie Camous, Patrick Waymel, Patrice Grouzard

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